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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 19:39

Comme je l'ai dit à l'article précédent, et décidément, lecteur, vous n'avez aucune mémoire, les mythographes ne sont pas fort bavards quant à notre naissance. Deux lignes chez Ovide, rien chez Hésiode... Mépris presque total. Nous ne saurions rien du tout, si le philosophe Platon n'avait pas fait raconter, dans un de ses dialogues, un mythe au sophiste Protagoras, qui nous présente la deuxième version de l'histoire des hommes. Protagoras, savant orateur du Ve siècle avant Jésus Christ, initiateur du premier grand mouvement sophistique... Vous vous en fichez ? Vous voulez l'histoire ? OK, OK. (bande d'incultes)

Quelques articles d'Histoires-Mythiques plus tôt, les dieux avaient flanqué une dérouillée sévère aux méchants Titans. Or parmi la famille de ces affreux rebelles, se trouvaient les Titans Prométhée et Epiméthée, fils de Japet et cousins de Zeus. Leurs noms signifiaient respectivement "Celui qui réfléchit avant" et "Celui qui réfléchit après", ce qui ne assure pas quant aux qualités intellectuelles du dit Epiméthée. Prométhée était donc un intello de première, astucieux et rusé, tandis que son frère était, euh... gentil.

 

Un jour, soit que ça lui ait passé par la tête, soit que les dieux le lui aient ordonné parce que ça les embêtait que le monde soit vide, le Titan Prométhée ramassa de la terre, la mêla à l'eau de pluie et façonna avec de petites silhouettes avec deux bras, deux jambes, un nez et des poils sous les bras : l'homme, dans toute sa grandeur et sa splendeur. Le Titan créa ainsi l'habitant intelligent du monde, le seul être capable d'offrir des sacrifices aux dieux. Ce qui me laisse penser que la commande que lui avaient passée les Olympiens n'était peut-être pas désintéressée.

 

Puis lui et son frangin Epiméthée furent embauchés par les Olympiens. Prométhée (="Celui-qui-réfléchit-avant", pour rappel) et Epiméthée (="Celui-qui-réfléchit-après") devaient distribuer à tous les animaux, l'homme y compris, toutes les capacités possibles et imaginables. Boulot de Titans : ça tombe bien, ils en étaient.


Or, Epiméthée se sentait en forme, et d'humeur créatrice. Il dit alors à Prométhée :


- Attends, frérot, je vais le faire, laisse-moi tout distribuer !


Prométhée, qui devait surestimer l'intellect de son frère, accepta et se retira dans un coin lire Kant et Spinoza. Pendant ce temps, Epiméthée regarde les animaux, regarde les capacités à attribuer et donne à l'un une épaisse fourrure contre le froid, à un autre une réserve d'eau pour survivre à la sécheresse, fait les uns herbivores, les autres carnivores, donne aux carnivores des griffes et des dents pour chasser, aux herbivores des capacités de camouflage et de reproduction pour la survie de l'espèce, fait ça bien, rajoute de la déco (queue des paons, derrière rouge des babouins, moustache de ma prof de maths, tout ça quoi) et, tout fier de son travail, appelle Prométhée.


- Ca y est frérot, t'as vu comme c'est bien distribué !


Prométhée lève le nez de son livre de philo et aperçoit soudain, parmi toutes les espèces bien dotées qui s'ébrouaient joyeusement, un petit corps tout nu dans le fond, sans rien, pas un brin de fourrure, pas une mini griffe, une minuscule mâchoire avec des crocs si inoffensifs qu'on en pleurerait. C'était l'homme. Epiméthée l'avait oublié.

 

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["Epiméthée !! Mais pourquoi t'as séché les cours de comptabilité-gestion ?!"]

 

Or, l'espèce humaine® était la création exclusive de Prométhée, world copyright restricted. Prométhée, voyant sa créature si mal lotie, décida solennellement de la prendre sous sa protection.


En effet, malgré ses moult défauts, l'homme avait encore un avantage par rapport aux animaux : il était le seul à connaître l'existence des dieux et donc à pouvoir lui faire des sacrifices. Quésaco un sacrifice ? J'explique : tu prends un truc agréable, bon à boire, bouffer ou sentir (viande, vins, céréales, parfums, lait, pop-corn, chanel n°5) et tu le brûles sur un grand bûcher selon les rites ; la fumée apporte tout cela aux dieux, qui se délectent de toutes ces bonnes choses, sont pour le coup très contents et t'apportent en échange des avantages substantiels : Zeus ne te foudroiera pas, par exemple (ben quoi ? c'est un avantage, non ?). Pour que les hommes puissent effectuer ces sacrifices, il leur fallait du feu, que Zeus leur fournissait exprès en faisant tomber sa foudre sur la cime des frênes. (Zeus, foudre à la commande, frênes rôtis 24h/24)


Or les hommes se lassèrent de tout sacrifier aux dieux. Un beau jour, dans un bled nommé Méconé, ils convainquirent les dieux de partager la viande des sacrifices avec eux. Une fois que les hommes auraient brûlé la part des dieux, ils garderaient le reste de la viande, se la partageraient et festoieraient grassement avec. Problème : quel morceau donner aux dieux, quel morceau garder ? La bavette ou l'aloyau ? Et puis pourquoi d'abord ?

 

Louvre-G112-sacrifice-d-un-jeune-sanglier--detail-.jpg

["Zeuuuus ! Le repas est servi !"]


C'est alors qu'arrive Prométhée, le rusé, qui a réfléchi avant à la question, comme son nom l'indique :

 

- Eh bien il n'y a qu'à laisser les dieux choisir eux-mêmes, suggère-t-il avec une petite idée en tête.

 

Zeus alors arrive en grande pompe, pendant que Prométhée fait les parts : il met d'un côté toute la viande, le petit gourmand, et recouvre tout de peau de boeuf, du bon vieux cuir pas particulièrement ragoûtant ; de l'autre il met deux trois morceaux bien gros et gras, surtout gras, ruisselants de graisse, sous lesquels il fourre tous les os. Et il dit à Zeus, qui vient d'arriver : "Choisis maintenant".


Mais Zeus est un dieu, et un dieu c'est omniscient, au moins en théorie. Il a bien compris que Prométhée essayait de le tromper. Il s'approche de l'autel où le Titan a posé les deux parts, ne fait même pas semblant d'hésiter et prend les morceaux gras à deux mains, les soulève et découvre les monceaux d'os - pour dévoiler la ruse de Prométhée au monde entier. Mais pourquoi donc ? Zeus était-il au régime ? Avait-il décidé de devenir végétarien ? Non ; en fait, il a fait exprès de tomber dans le piège du Titan, pour avoir une raison de le punir et de punir les hommes, qui l'agaçaient à chipoter comme ça sur les sacrifices.
En tout cas c'est ce que raconte ce fayot d'Hésiode.
Zeus donc, un peu véner qu'on ait tenté de le tromper et de lui refiler de vieux os pourris de boeufs même pas origine France, se mit à bouder, et pour exprimer son ressentiment, arrêta de foudroyer les cîmes des arbres pour donner du feu aux hommes. D'un côté les dieux devaient se passer de sacrifices, mais de l'autre les hommes, pas spécialement équipés niveau fourrure [sauf Chabal] à cause de cet étourdi d'Epiméthée, crevaient de froid. Et les bêtes sauvages les attaquaient sans cesse... Prométhée avait beau leur avoir appris à construire des huttes et tout ça, c'était pas la joie. Alors le Titan, pour protéger ses créatures, finit par trouver une solution.

 

prometh

[Prométhée de Jean Delville : le Titan va discrètement (?) chourer la jante alliage du Soleil]


Il s'introduisit subrepticement dans le palais du Soleil en crochetant la porte, et se glissa jusqu'au char flamboyant sur lequel l'astre faisait le tour du monde chaque jour. Là, sur une des roues, il saisit une ou deux braises, et les enferma dans une tige de fenouil creuse qu'il portait sur lui, et s'enfuit. Il venait de voler le feu, qu'il donna aux hommes, avec lequel ils purent se chauffer, se protéger des bêtes et se faire des barbecues avec la viande des sacrifices. Na.


C'est pourquoi le fenouil est une plante fort importante dans le destin de l'humanité. Et d'ailleurs, de la racine de fenouil bien propre, coupée en lamelles avec une sauce huile d'olive et vinaigre balsamique... Miam...

 

Sources : Hésiode, Théogonie ; Ovide, Métamorphoses ; Platon, Protagoras.

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